"La conversation n'est féconde

qu'entre esprits attachés à consolider leurs perplexités."

Cioran

 

 


SAGESSE

DU BONHEUR.

 

Le bonheur est fragile et transitoire.

Pas de bonheur durable sans un grain de sagesse!

 

Sagesse du bonheur ? Faut-il être fou pour espérer devenir sage ou devient-on sage parce que l'on est un peu fou? Quoi qu'il en soit, cultiver le bonheur est affaire de clairvoyance, de lucidité, d’intuition et, somme toute, de sagesse – ne serait-ce que pour identifier les sources de souffrance les plus courantes et agir en conséquence. Pas de bonheur durable et profond, apparemment, sans cette sagesse-là. Les voies sans issue et les fausses pistes qui aboutissent aux désillusions les plus amères sont innombrables. Le bonheur, semble-t-il, n’est ni dans l’attente ou l’espérance, ni dans la croyance en quelque leurre prétendument salvateur, ni dans l’être, l’avoir ou le paraître, ni dans le rêve ou l’idéalisme, ni dans la léthargie ou la fébrilité. Le bonheur est un compagnon de route qui ne vous rejoint que dans l’action, dans l’échec surmonté, dans l’accueil et l’amour de la vie, dans l'aptitude, surtout, à identifier et vaincre, en nous, le prédateur – cette ombre sournoise qui, à notre insu, nous pilote et nous égare. Il s’agit d’aimer la vie sans fard, dans sa fraîcheur et sa nudité – telle qu’elle se déroule : une vie non pas statique, mais vouée à des changements incessants, voire inattendus – comme une partie de dés où les contingences s'ingénient à nous égarer. Et c’est l’omniprésence de l’impermanence qui fait tout le prix de cette vie-là, tout le prix de ces instants si évanescents et si fugaces, tout le prix de cet environnement en perpétuel devenir qui ne cesse de nous échapper et que nous tentons en vain de retenir.

 

BONHEUR

DE LA SAGESSE.

 

Sagesse du bonheur, bonheur de la sagesse...

la formule est réversible!

 

Parce que la sagesse, vécue ici et maintenant, peut et doit être source de réjouissances. Parce qu’on a alors le sentiment de faire route dans la  direction la plus sensée. Ou du moins dans une direction plus féconde que les voies couramment proposées en ce bas monde. Parce que la vie de l'homme machinal et hyperdomestiqué n'est pas la seule issue! Si la sagesse procure du bonheur, c’est parce qu’elle est un savoir-vivre basé sur l'expérience, une façon de se mouvoir souplement dans le réel, de l’habiter avec étonnement, d'y adhérer en toute sérénité, de coller à la réalité toute nue sans la confondre avec ces multiples duplications subjectives, interprétations émotionnelles ou représentations anthropomorphiques que notre univers mental ne  cesse de concocter. Il s'agit de se désencombrer la boîte crânienne, de percevoir à quel point nous ne sommes qu'une infime parcelle de cette mystérieuse trame cosmique qui nous enveloppe, nous imprègne et nous nourrit à notre insu. La sagesse procure du bonheur en raison de ce rapport fusionnel, de ce sentiment d'unité et de complicité qui se fait jour quand on parvient à cultiver la  disposition d'esprit apparemment la plus bénéfique – celle qui, périodiquement, consiste à se vider de soi pour n'être plus que tout. Est-ce l'enfance de l'art... ou ne serait-ce pas plutôt l'art de l'enfance? Parce que remonter en enfance* après avoir un peu vécu, c'est vraiment tout un art.

 

 

Voilà un site que ma morale réprouve diront les uns. Outrages à tous les étages diront les autres! Outrages aux certitudes, aux croyances, au train-train quotidien, au petit cinéma que chacun ressasse dans son coin ! S’interroger sur le caractère outrageant de telle ou telle innocente espièglerie, de telle ou telle quête en dehors des sentiers battus revient à se demander, avec entêtement, arrogance et gravité, s’il faut entamer un œuf par le petit ou par le gros bout. Cette question futile est à l’origine d’une véritable guerre entre Gros-boutiens et Petit-boutiens dans Les voyages de Gulliver de Jonathan Swift ! Les divergences d’opinion les plus déraisonnables ont fait des millions de morts par le passé. De nos jours encore, des humains – auxquels les hécatombes d’hier n’ont pas suffit – vont jusqu’à s’entretuer pour des croyances qui, effectivement, ne sont que cela, des croyances ! C’est un peu comme si vous alliez occire votre voisin parce qu’il juge Dieu plutôt anguleux tandis que vous, vous le voyez plutôt arrondi ! Ce genre de différent – qui peut dégénérer en guerre de religion ou en conflit idéologique – est aussi dérisoire qu’un soulèvement populaire contre les pois cassés ou les salamis, les bêtises de Cambrai, l’antimoine ou les pets-de-nonne !

 

La vraie nature du monde réel – du moins tel qu’il nous apparaît – c’est son fabuleux mystère et sa neutralité. Ce sont nos interprétations fantaisistes qui confèrent à nos visions comme à notre langage une tonalité favorable ou défavorable, multipliant ainsi les méprises et les malentendus. A noter que certains auteurs britanniques sont passés maîtres dans l’art de faire un pied de nez à toutes ces fariboles en mêlant allègrement le nonsense, l’absurde, l’excentricité, le bon sens, l’humour et la dérision. Les pages qui suivent sont une parodie de la préciosité, de la morale bourgeoise, des mœurs, du sérieux, de la raison, de l'hypocrisie, de la pensée spéculative, de tout et de rien… Il s’agit simplement de suggérer gaiement que l’on peut vivre autrement et que c'est même instructif et très amusant.


Les pages qui suivent sont aussi un tour de force vraisemblablement voué à l'échec en raison de la décrépitude de mes neurones. Elles tentent de montrer (mission quasi impossible!) qu’en définitive, l’humour qui dénigre et se gausse des agissements d’autrui est lui-même une falsification du réel.

  

 

* "En prenant de l’âge, on s’aperçoit que tout vous a été donné dans vos jeunes années, que des évènements infimes, ou qui vous ont paru tels sur le moment, vous ont marqué pour la vie. Et que, au fond, vous avez beau avoir les cheveux blancs, ce qu’il y a d’essentiel en vous, c’est l’enfant."

(Henri Troyat)