Las que sont mes amis devenus,

Que j'avais de si près tenus?

Ce sont amis que le vent emporte

Et il ventait devant ma porte.

(Rutebeuf)

 

 

 

Non pas espérer, mais vouloir et agir.

 

Au gui l'An neuf et bonne année! On se languit de l'An nouveau et ça y est, nous y sommes... Mais qu'est devenu l'An 2010 dans lequel nous plaçions tous nos espoirs, l'An neuf qui nous promettait monts et merveilles? Que se passe-t-il? Les vœux dithyrambiques de nos amis tardent à se réaliser, s'effritent et s'effilochent. Epuisés par la rédaction de quelques lignes de vœux conventionnels qui n'engagent à rien, ces chers amis ne donneront d'ailleurs plus signe de vie jusqu'au Nouvel An suivant… Pour un artilleur qui connait la balistique, ces vœux-là pourraient s'apparenter à une salve de placebos.

 

Moralité? Les attentes, les espoirs et les souhaits sont des désirs complètement illusoires puisque leur satisfaction ne dépend pas de nous. Mieux vaut donc accepter, accueillir, vouloir, agir et cesser d'espérer pour ne pas voir nos attentes constamment déçues. Parfaitement indifférent à nos aspirations, le monde réel se rie de nos attentes parce que ces désirs  sont un pur produit de notre univers mental.

 

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L’attente des lendemains chantants n’a aucun sens !

« L’espoir fait vivre, dit un aphorisme populaire. Ce n’est pas l’avis de Krishnamurti qui prend le contre-pied de cette sagesse un peu courte. "Nous sommes pris en permanence dans la trappe du désespoir et de l'espoir […] Est-ce véritablement l'espoir qui nous fait vivre? [...] Est-ce vivre de ne penser qu'à demain? [...] Vous sacrifiez aujourd'hui dans l'espoir du lendemain. Mais le bonheur ne se trouve que dans le présent […] Vivre heureux, c'est vivre sans espoir […] L'espoir est le déni de la vie […] Il est essentiel que l'individu soit enfin vivant […] Ne pouvons-nous vivre intensément, pleinement, sans restriction, ne serait-ce qu'un seul jour? [...]" L’attente des lendemains qui chantent n’a pas de sens. »

 

Alain Delaye, citant et commentant Krishnamurti,

dans "Sagesses concordantes", volume 2

 

 

L’espérance : une vie que nul ne vivra jamais !

« Affirmer le caractère névrotique de l’espérance peut sembler paradoxal puisqu’on tient généralement celle-ci pour une vertu, c’est-à-dire une force. Pourtant il n’est pas de force plus douteuse que l’espérance […] Tout ce qui ressemble à de l’espoir, à de l’attente, constitue un vice, soit un défaut de force, une défaillance, une faiblesse – un signe que l'exercice de la vie ne va plus de soi, se trouve en position attaquée et compromise. Un signe que le goût de vivre fait défaut et que la poursuite de la vie doit dorénavant s'appuyer sur une force substitutive: non plus sur le goût de vivre la vie que l'on vit, mais sur l'attrait d'une vie autre et améliorée que nul ne vivra jamais. L'homme de l'espoir est un homme à bout de ressources et d'arguments, un homme vidé, littéralement "épuisé" […] A l'opposé, la joie constitue la force par excellence, ne serait-ce que dans la mesure où elle dispense précisément de l'espoir – la force majeure en comparaison de laquelle toute espérance apparaît comme dérisoire, substitutive, équivalant à un succédané et à un produit de remplacement. »

 

Clément Rosset dans "La force majeure"

 

 

Pas de place pour l’espoir !

« L'action suffit : il faut tout faire pour qu’elle réussisse, puisque cela dépend de nous ; sans l’espérer pourtant, et sans crainte qu’elle échoue, puisque cela n’en dépend pas. "Vous ne pouvez faire que ce qui est en votre pouvoir. C'est tout! Pourquoi vous feriez-vous du souci pour ce qui est dans le passé ou dans le futur?" La pensée sert à l'action ou ne sert à rien. Or l'action, parce qu'elle n'est possible qu'ici et maintenant, n'a que faire de l'espérance. Son succès dépend de tellement de choses qui ne dépendent pas de nous! Comment, si c'est le succès que nous désirons, ne serions-nous pas angoissés? " C'est l'attente, c'est cette attente qui est la cause de tous les soucis… Vos espoirs et vos désirs sont en vous, alors que les actions des autres et les événements se déroulent dans le monde extérieur… Alors? L'attente n'est-elle pas inutile? Les choses peuvent tourner comme vous vous y attendez  ou non. Tout dépend des facteurs extérieurs! Et non de vous! Alors? Espérer quoi? Vous devez accepter ce qui est arrivé, ce qui arrive. Il n'y a pas de place pour l'espoir! [...]" Le sage? Cest celui à qui le présent suffit: à qui tout suffit, puisqu'il n'y a rien d'autre. C'est pourquoi il vit dans la vérité, non dans l'espérance. »

 

André Comte-Sponville, citant et commentant Svâmi Prajnânpad,

dans "De l'autre côté du désespoir"

 

 

 

Advienne que pourra !

Evoquant le "mépris de toute valeur extérieure et l'absence d'exigences face à la vie qui naît de la sensation inconsciente de sa propre plénitude et d'une mystérieuse félicité intérieure", Etty Hillesum ajoute "Je crois qu'on doit se départir de tout espoir fondé sur le monde extérieur […] Je ne pense pas en termes de projets ou de risques, advienne que pourra, et tout ira bien. »

 

Etty Hillesum dans "Une vie bouleversée"

 

 

Toujours espérer autre chose…

« La majorité des humains sont en attente d’autre chose. Ils ne savent pas trop quoi, mais s’emploient à pallier cette ignorance en concrétisant leur attente dans de multiples espoirs et en engageant pour les réaliser de nombreuses actions. Ils entrent alors dans une logique du devenir qui nie la réalité de leur être. Dans cette logique, ce qui est intéressant n’est pas ce que l’on a, mais ce que l’on aimerait avoir, pas ce que l’on est, mais ce que l’on pourrait être. C’est une logique valorisant le futur, utilisant le passé et négligeant le présent. "Chacun a expérimenté ce qu'est l'espoir. L'espoir est relié au futur. Mais s'il n'y a pas de mémoire, ce très subtil esclavage des espoirs disparaît […] L'espoir implique aussi le fait de choisir… Quand vous exprimez votre espoir, vous déclarez d'une certaine façon votre choix subtil et inconscient." Cela veut dire que vous excluez tout ce qui n'est pas votre choix, que vous quittez une attitude d'ouverture, d'acceptation globale. En langage évangélique, c'est préférer "qu'arrive ce que je veux" à "que ta volonté soit faite". C'est renoncer à l'abandon paisible  pour l'attente inquiète, égocentrée. »

 

Alain Delaye, citant et commentant Vimala Thakar,

dans "Sagesses concordantes", volume 2