Bonjour, ça va ?

 

"Quel spectacle,

disait Shakespeare,

mais ce n'est qu'un spectacle!"

 

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“Qu’est-ce-que la vie ?

Un délire ? une illusion, une ombre, une fiction ;

et le plus grand bien est peu de chose,

car toute la vie est un songe

    et les songes sont des songes...”  

                             

Pedro Calderon de La Barca

 

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On commence par acquérir des habitudes mais elles finissent souvent par nous posséder! Très savoureux à mes yeux, le « Bonjour, ça va ? » des rencontres matinales pourrait figurer en bonne place dans un florilège de formules censées entretenir et promouvoir au plus haut point les relations de bon voisinage. Les règles de la politesse, en effet, impliquent la stricte observance d’un comportement ritualisé auquel presque tous les bipèdes du genre humain se prêtent bon gré mal gré. Vous trouvez ce genre de salutation mécanique parfaitement naturel? Moi, pas ! Bonjour, ça va, vous allez bien ? Ce que je trouve le plus énigmatique et le plus fabuleux dans l’usage quasi généralisé de cette litanie, ce sont les accents de conviction insurpassables avec lesquels ces choses-là sont dites, c’est le sourire engageant qui accompagne l’agitation labiale, c’est l’immense sollicitude qui transfigure le faciès de l’intéressé, c’est l’expression radieuse qui annoblit son visage, c’est ce regard extraordinairement fraternel, cette manifestation d’amitié authentique, cette poignée de main chaleureuse… Bref, ce qui me sidère et m’époustoufle, ce n’est pas tant la formule en elle-même – qui n’est qu’un rituel parmi tant d’autres – c’est la maîtrise magistrale avec laquelle les intéressés interprètent ce simulacre.

Car simulacre il y a ! Imaginez un seul instant que naïvement mis en confiance par cet assaut de bienveillance, vous répondiez « J’aurais besoin de 100 €, vous pourriez me dépanner ? »* Je vous laisse alors le soin d’imaginer la mine défaite et contrite, le visage livide et décomposé de l’interlocuteur, ses yeux hagards, son désarroi momentané… et toute cette sollicitude factice partir, comme on dit vulgairement, en eau de boudin !

Connaissant mon naturel espiègle et malicieux, mes amis ne s’étonnent plus de l’impertinence de mes propos. Pourtant je me retiens, je ne cesse de me retenir pour ne pas effaroucher mes semblables si bien que la plupart des réparties qui me viennent à l’esprit demeurent inemployées. Quel gâchis !

 

* Ça, c'est la version "hard" – la version la plus féroce et la plus cruelle. Les amateurs plus timorés pourront faire appel à une version "soft" qui se contente de désarçonner l'interlocuteur... en douceur, tout en douceur, sans l'agresser le moins du monde. Par exemple prendre un air dubitatif et, du tac au tac, réagir en posant illico à l'intéressé une question déroutante, par exemple: "Vous savez, je me demande s'il y a des arbres à pain sur les îles Sandwich. Qu'en pensez-vous?"