Dans la vie faut pas s'en faire.

Moi je ne m'en fais pas...

 

 

 

La foi soulève des montagnes

et la fonction crée l’organe.



Janvier 2010. Bonheur éternel, santé de fer, moral d’acier, ossature et mâchoires en béton, forme éblouissante, virilité, fécondité, longévité, réussite, prospérité... le répertoire des vœux formulés en début d'année est quasi inépuisable. Conséquence logique : chacun d’entre-nous est sensé nager, voire patauger toute l’année, vivre enlisé dans l’euphorie et la félicité, voir ses ressources intellectuelles, sentimentales et digestives devenir inépuisables, voir ses aspirations les plus légitimes ou les plus saugrenues comblées au-delà de toute espérance. Le-bon-heur quoi ! Nous n’allons plus savoir où donner de la tête et du reste…

Quoique ? Le bonheur authentique étant, par définition, indicible, comment allez-vous manifester le vôtre ? Comment témoigner visiblement votre gratitude, comment remercier les dieux et afficher ouvertement votre allégresse, comment signaler de façon tangible, incontestable et quasi palpable que vous avez bel et bien pris position sur un petit nuage et que vous entendez y rester scotché, coûte que coûte, au moins jusqu’à la fin de l’année ? Mission quasi impossible ! Tout cela parce que les humains ont subi une métamorphose regrettable en passant jadis du stade caudé (« pourvu d’une queue » du latin cauda = queue) au stade cryptocaudé (crypto : du grec kruptos = caché).

L’espèce humaine a connu mille et une tribulations ponctuées de quelques brefs épisodes idylliques. Mais Dieu a commis un jour une bévue impardonnable. Subjugué par une idée fixe et de mauvais augure, Dieu a déclaré, de but en blanc, aux humains caudés : « Demain, j’enlève le bas ! ». Tout est alors allé de mal en pis et c’est bien là où le bas blesse – je ne vous le fais pas dire !

Ce bas du dos amputé qui nous fait défaut, ce bas qui laisse tant à désirer, ce bas dont nous avons perdu l’usage se situe précisément à la base de votre épine dorsale et je suis convaincu que vous ne soupçonnez pas l’importance de cet assemblage osseux, articulé au sacrum, dédaigneusement baptisé coccyx par les non-initiés. Or le drame, c’est que ces quelque 4 ou 5 os résiduels soudés entre eux étaient beaucoup plus nombreux à l’origine. Ils ont même perdu leur mobilité au fil des âges, notamment parce que les muscles situés à proximité se sont atrophiés. Ces os résiduels et quasi impotents constituaient jadis un appendice éloquent, révélateur, agile et fort démonstratif qui permettait à nos ancêtres de manifester fréquemment et frénétiquement leur satisfaction en frétillant du fondement. Lors de ma dernière escale intra-utérine – qui ne date pas d’hier ! – mon appendice caudal, pourtant à peine ébauché, était pour moi un sujet de ravissement permanent. Or au cours de ma huitième semaine, il a disparu... J’é-tais-at-ter-ré ! Le coccyx jouit toutefois encore d’une certaine considération, d’un certain degré de mobilité – notamment perceptible chez les femmes lors de l’accouchement. Il n’y a donc pas lieu de désespérer.

D’autant plus que la foi, dit-on, soulève des montagnes et que la fonction crée l’organe, c’est bien connu. Songez-y. Songez-y fortement. Visualisez quotidiennement votre coccyx. Remplacez-le mentalement par un coccyx  virtuel articulé, long, souple et fringant. Insistez, insistez ! Après quelques semaines d’entraînement psychique intensif et de méditation poussée au paroxysme, vous constaterez avec émerveillement que votre coccyx ainsi émoustillé frétille un tantinet. Mieux, par palpation périodique, vous n’allez pas tarder à localiser un léger renflement …

Au fil des mois, vous aurez ainsi la satisfaction de voir ce joyeux appendice articulé poindre et saillir de plus en plus, s’allonger graduellement, traduire votre béatitude et vos états d’âme..., ce qui vous obligera à ménager une ouverture dans vos robes, jupes, pantalons, shorts et autres vêtements dont la fonction première est, pudibonderie oblige, de masquer le fondement. Ce petit travail de couture est de ceux dont on se passerait volontiers, mais songez que vous aurez dorénavant le privilège de pouvoir os-ten-si-ble-ment  (c’est le cas de le dire !) témoigner votre allégresse à vos proches, parents, amis, directeurs de conscience, confesseur, percepteur et autres connaissances en remuant non seulement votre arrière-train mais aussi votre coccyx, désormais en voie de développement, mobile et triomphant. Ah ! J’oubliais : la lanière postérieure des strings étant susceptible de provoquer une déviation latérale de votre appendice caudal, le port de cet accessoire très tendance est fortement déconseillé. Pour fortifier votre squelette et favoriser la croissance régulière de cet appendice, prenez aussi régulièrement du calcium et demandez conseil à votre pharmacien pour éviter toute ossification excessive.

Nos ancêtres avaient beau rester sur leur quant-à-soi lorsqu’ils abordaient prudemment un congénère inconnu, la plupart pratiquaient le tatouage, les scarifications et la peinture sur soi pour épater le bourgeois. Réjouissez-vous car une nouvelle partie de votre anatomie, jusqu’ici demeurée dans l’ombre, va susciter un intérêt grandissant chez les prescripteurs de mode. Le bas de soi va devenir très tendance et tous les créateurs de mode vont s’ingénier à habiller, décorer, valoriser, réhabiliter votre appendice caudal. Il pourra être gainé de cuir ou d’alpaga, orné de percings et de brillants, habillé en fonction de la saison, de l’humeur ou des circonstances. Une parure recherchée, quasi aristocratique, ne serait d’ailleurs pas à dédaigner… songez-y. Un peu de dignité que diable : il faut savoir tenir son rang !

Chaque fois que vous vivrez des moments intenses, extatiques et jubilatoires ponctués par de joyeux frétillements du fondement, s’il vous plaît – je vous en prie – ayez une petite pensée pour votre serviteur dont les espiègles facéties, si souvent mal interprétées, suscitent hélas souvent l’incompréhension,voire la hargne et l’inimitié.