Une vocation brisée.

 

(Attention: farce iconoclaste. Ames sensibles s'abstenir)

 

 

Je m’en vais maintenant vous conter une expérience vécue et violemment saugrenue dont j’aurais aimé confier le récit à Raymond Devos ou l’interprétation à Jacques Tati – hélas tout deux disparus. Il y a deux ans, promené en laisse par mon chien, je rencontre un copain que je n’avais pas vu depuis longtemps. Est-ce à cause de ma distraction légendaire ou du fait que l’ami en question parlait à voix basse et sans articuler comme il se doit, toujours est-il que je n’avais pas vraiment saisi la nature de son problème de gorge – et comme je ne suis pas de ceux qui ont l’indiscrétion de s’appesantir sur les ennuis de santé d’autrui sans être qualifiés pour les résoudre, j’en étais resté là. Et le voilà qui se met à m’expliquer la nature de son mal – un cancer de la gorge – en soulevant son T-shirt pour exhiber un petit tuyau insolite qui sortait de son abdomen. Troublé, j’ai jugé bienséant de prendre appui sur un arbre providentiel qui, fortuitement, passait par là.

En vain… car une fraction de seconde plus tard, mon anatomie s’effondrait comme une masse ! Vous l’aurez compris, je suis recordman d’Europe du malaise vagal – deux fois champion du monde toutes catégories de la discipline en 1994 à Saint Cope  et en 1998 à Comaville ! Dans un premier temps, je me suis donc octroyé quelques minutes d’absence, puis sentant revenir mes esprits, j’ai tenté de reprendre la station verticale. Tentative prématurée : mon anatomie défaillante est à nouveau retombée, comme une masse, dans le coma. Lors de ma seconde réapparition en ce bas monde, j’ai jugé plus prudent de m’attarder quelque temps au ras des pâquerettes dans l’attente d’un regain de vitalité plus fiable...

 

Surgit alors un jeune couple, le doigt nerveusement crispé sur la gâchette de leur portable, me dévisageant gravement. Je leur explique alors calmement que mon état ne saurait leur inspirer la moindre inquiétude – le propre du malaise fatal étant de ne pas être vagal. Zut, c’est le contraire, le propre du malaise vagal étant de ne pas être fatal. Eh bien, comme ils n’avaient encore jamais rencontré un malaise vagal de leur vie – pas même en vacances dans les contrées les plus barbares – ils ont subrepticement appelé, à l’insu de mon plein gré comme aurait dit, fort à propos, Richard Virenque, l’ambulance des sapeurs-pompiers. Et voilà que, quelques minutes plus tard, apparaît un véhicule tout rouge, d’où surgissent deux énergumènes costumés à l’esprit obtus auxquels je tente en vain d’expliquer que leur intervention ne s’imposait pas, que j’étais victime de la sollicitude injustifiée d’un couple qui, entre-temps, avait cru bon de disparaître, que mon malaise fatal n’était pas vagal. Zut, c’est le contraire, que mon malaise vagal n’était pas fatal. Mais comme il n’y avait pas de médecin à bord du véhicule tout rouge et que ses occupants, eux non plus, n’avaient jamais, au grand jamais, rencontré un malaise vagal, pas même en vacances à Knokke-le-Zoute, j’ai dû subir quelques examens de routine et me voir proposer un rapatriement motorisé à domicile, à 800 mètres de là.

 

Mais là, nouveau problème insolite et kafkaïen: mon chien n’était pas autorisé à m’accompagner dans le véhicule tout rouge. Du coup, j’ai vu rouge et j’ai refusé de me séparer de ma chienne – très malade à l'époque – si bien qu’en définitive, le véhicule tout rouge est reparti bredouille avec ses énergumènes obtus et moi, à présent vaguement ressuscité, je suis rentré à pied avec mon chien à la maison – un peu ébranlé tout de même – et soutenu par mon ami encore tout interloqué!!!

Ce triste épisode a mis fin à ma vocation de bon samaritain. J’aurais aimé me rendre utile, essayer – comme le Christ – de ressusciter les morts, de guérir les malades d'un coup de goupillon magique. Cette anecdote a eu au moins le mérite de démontrer que mon anatomie n’est guère compatible avec certains voisinages. Si j’avais l’audace de m’aventurer à l’hôpital dans l’espoir d’apporter aux patients en perdition un soutien psychologique, providentiel ou miraculeux, je serais illico évacué dans le coma vers la salle de réanimation la plus proche !!! J’ai bien envisagé de prendre des cours avec un moniteur de conduite hospitalière, d'affronter une séquestration volontaire à l'intérieur d'un simulateur de bloc opératoire, d’apprendre à coller des rustines sur des patients gonflables alités souffrant de polycrevaisons. Mais je crains que ma première rencontre avec une seringue hypodermique de gros calibre ou un aspirateur liposuceur de dernière génération n’ait sur moi les effets les plus dévastateurs…

 

« I have a dream! » Comme le pasteur Martin Luther King, j’ai un rêve. Oh, un rêve tout bête, un rêve de fraternité, de convivialité et de partage sans l'ombre d'un symptôme prévagal, sans l'ombre d'un malaise vagal. Je me vois nageant, extatique, dans l'euphorie du bénévolat. Je me vois officiant, radieux, dans une soupe populaire, en qualité de préposé au remplissage des assiettes, encourageant les intéressés du regard, arborant mon sourire le plus facétieux, ouvrant l’orifice buccal de temps à autre pour suggérer « je vous en remet encore une louche ? ». Eurêka… Voilà la solution ! La solution inoffensive par excellence! Plus de malaise vagal à craindre, fini le coma qui vous percute l'anatomie comme un coup de gourdin asséné sur le crâne d'un païen par un soudard de l'Armée du Salut ! Mais où est-ce que je vais bien pouvoir trouver une soupe ? S.O.S. SOUPE ! S'il vous plait, je vous en prie, indiquez-moi où je pourrais trouver une soupe…